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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Prières pour celles qui furent volées / Jennifer Clément

Prières pour celles qui furent volées / Jennifer Clément

Voilà un témoignage qui rend hommage, comme l'indique le titre, à toutes les femmes volées de ce monde...

 

 

Voici l'histoire

 

Dans les montagnes de Guerrero, au Mexique, il ne fait pas bon être une petite fille, une adolescente ni une femme. D'ailleurs lorsqu'un enfant naît, c'est toujours un garçon. De fille, il n'y en a point...en tous cas il vaut mieux ne jamais dire qu'on en a une.

 

"L'idéal, pour une fille, au Mexique, c'est d'être laide."

Toutes petites, on les habille en garçon et quand leur mère ne peut plus cacher leurs seins naissants, on les enlaidit (dents noircis, cheveux courts, vêtements informes). Elles courent se cacher, dès qu'un 4x4 arrive au village (encore faut-il l'entendre).  Pour plus de sûreté, les femmes ont creusé des trous  dans la terre et les filles s'y installent et se recouvrent de branches : c'est le seul moyen pour qu'elles ne soient pas kidnappées par les trafiquants de drogue qui les arrachent à leur famille et  les violent.  Elles deviennent ensuite leurs esclaves...

 

Car dans ces contrées reculées, où même la police est corrompue, ceux qui font la loi ce sont les cartels de la drogue. 

Les hommes sont depuis longtemps partis travailler ailleurs, à Acapulco, la ville proche ou parfois aux États-Unis et la plupart ne reviennent jamais et n'envoient même plus d'argent à leur famille. Quelquefois ils ont même carrément fondé une autre famille ailleurs.

C'est le cas du père de Ladydi.

A 14 ans elle se souvient encore du temps où il venait à la maison et où Rita, sa mère, l'attendait en se faisant belle. Depuis qu'il n'est plus revenu, sa mère boit et toutes deux se débrouillent comme elles peuvent.

Tous les week-end Ladydi et sa mère partent à Acapulco où Rita fait des ménages pour une riche famille.

Elles vivent dans un petite maison inachevée en tôle et béton, au sol en terre battue. Mais elles ont une télévision.

Bien sûr, pour s'instruire il y a l'école du village qui fonctionne quand un instituteur arrive à vivre dans ce désert quelques mois.

"Je ne suis allée à l'école que jusqu'à la fin du primaire. La plupart de ces années-là j'étais un garçon. Notre école était une petite pièce, en bas de la colline. Certaines années, les instituteurs ne se présentaient même pas, ils avaient bien trop peur de venir dans cette région. Ma mère disait qu'un instituteur qui avait envie de venir chez nous était soit un trafiquant, soit un imbécile".

 

Les filles font des kilomètres à pied pour aller à l'école en évitant les serpents venimeux, les fourmis rouges et les scorpions albinos, nu-pied dans leurs tongs en plastique. Il faut aussi qu'elles évitent les hélicoptères de l'armée qui passent leur temps à déverser du Paraquat, un herbicide très toxique sur les plantations de pavots et arrosent en même temps, village et habitants. Il faut aussi se méfier de l'autoroute qui coupe le village en deux et qui est responsable de la mort de nombreuses personnes imprudentes...

 

Heureusement l'enfance de Ladyli est néanmoins heureuse : elle a des amies. Il ya  Paula qui est si belle que c'est difficile pour sa mère de la cacher ; Estefani dont la mère atteinte du SIDA est soignée à la ville ; Marie qui a plus de chance car elle est née avec un bec-de lièvre qui l'enlaidit naturellement et qui est la demi-soeur de Ladydi.  Et puis il y a Ruth, le "bébé poubelle" qui a été recueillie par une des femmes du village et qui est très belle.

Elle s'occupe du salon de beauté.

"Je suis obligée de transformer des petites filles en garçons. Je dois faire en sorte que les filles un peu plus âgées soient ordinaires, et les jolies, il faut que je les fassent laides. C'est un salon de mocheté, ici, pas un salon de beauté... "

 

Toutes rêvent d'un avenir meilleur...

 

Paula puis Ruth vont disparaître...Ruth ne reviendra jamais, Paula réussira à se sauver mais à quel prix...Elle reviendra meurtrie pour toujours et peu à peu Ladydi comprendra pourquoi.

Et puis il y a Rita, la mère... aimante et protectrice, violente, alcoolique et kleptomane mais qui attendra des heures dans la clairière (seul endroit où il y a du réseau) un appel de sa fille comme elle a attendu celui de son mari.

"L'amour n'est pas un sentiment, mais un sacrifice." lui dira-t-elle...

 

Elle oblige Ladydi a faire des prières mais dit-elle il ne faut jamais demander ce que l'on désire vraiment, sinon on ne l'aura jamais ! Il faut, dans les prières, demander de façon détournée uniquement  des choses matéirelles ce qui cache les demandes véritables.

"Depuis que j'étais enfant, ma mère me disait de faire des prières pour demander des choses. Nous le faisions toujours. J'avais dit une prière pour demander les nuages et pour un pyjama. J'avais fait une prière pour demander des ampoules électriques et des abeilles. Ne demande jamais l'amour et la santé, disait ma mère. Ou de l'argent. Si Dieu entend ce que tu désires vraiment, tu ne l'auras pas. Garanti. Quand mon père nous a quittées, ma mère a dit : "Mets toi à genoux et demande des cuillères"

 

Un jour Ladydi arrive à quitter ses montagnes natales pour un travail à la ville. C'est Mike le frère de Marie qui l'accompagne. En chemin il s'arrête longuement dans un ranch en l'enfermant dans la voiture. Lorsqu'ils repartent, elle comprend qu'un drame vient de se produire mais ne pose aucune question...

Son destin, (pouvait-il en être autrement ?) la rattrape : elle se  retrouve accusée d'un meurtre qu'elle n'a pas commis. La voilà en prison.

Elle a eu le temps, heureusement, de connaître l'amour : celui d'une mère, d'une soeur, d'une amie, de ses soeurs d'adoption et surtout celui de Julio...

 

 

Ce que j'en pense

 

Ce roman nous permet de connaître Ladydi, la narratrice, de l'intérieur ce qui le rend proche du témoignage.

Avec un mélange de candeur, de naîveté et l'innocence de l'enfance, elle nous parle de choses atroces qu'elle même ne comprendra que plus tard. Le lecteur entre dans ses rêves, ses pensées, sa famille.

Elle porte sur son entourage et sur sa mère, alcoolique, voleuse, coléreuse mais si forte, un regard plein d'humour et très réaliste.  

 

L'auteur nous donne à voir des portraits de femmes inoubliables, belles ou non, fortes ou non, mais toujours solidaires et magnifiques tant elles sont courageuses dans cet univers hostile et dangereux, proche de l'enfer sur terre.

Le lecteur est touché par toutes ces femmes et par leur courage, leur volonté de vivre coûte que coûte et de survivre... à la chaleur, aux mouches, à la soif, aux narcotrafiquants, à la solitude, aux fourmis, au manque d'amour, à la misère, aux scorpions albinos mortels, à leurs conditions de travail...

Ces jeunes filles innocentes et leurs mères paient très cher la richesse des narcotrafiquants.

 

L'écriture toute en simplicité expose les faits à la manière d'un reportage sans prendre partie et sans excès de sentimentalisme. De fréquentes digressions et des compléments d'information allègent le récit qui, s'il était trop linéaire, pourrait paraître ennuyeux.

 

C'est ce décalage entre les faits d'une violence inouie et l'écriture toute en simplicité de l'auteur qui est bouleversant.

 

Facile à lire, ce roman peut être proposé à des adolescents car malgré la dureté du sujet, ce n'est pas un livre triste, ni déprimant : il est au  contraire porteur d'espoir.

Si la violence faite aux femmes est un fait malheureusement toujours d'actualité, c'est particulièrement important d'en débattre avec les jeunes et nous devons nous sentir solidaires, même si nous nous sentons plutôt impuissants face au phénomène et savons le combat quasi perdu d'avance...

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